Inefficacité de l’effarouchement des flamants dans les rizières de Camargue : à quand une agriculture adaptée à son environnement ?

Le 17 mai dernier, un arrêté préfectoral portant sur l’effarouchement des flamants roses dans les Bouches-du-Rhône a été dispensé. Cette régularisation administrative, initiée en 2016, accompagne les campagnes d’effarouchement qui se font dans les rizières depuis plus de 30 ans. Petit rappel du contexte :

 

Depuis l’arrêté ministériel du 17 avril 1981 relatif aux espèces d’oiseaux protégées sur le territoire français, le Flamant rose bénéficie d’une protection totale. Il est donc interdit de le détruire, le mutiler, le capturer ou l’enlever.

Cette protection est venue conforter les efforts de protection de ces grands oiseaux qui, après avoir niché pendant des siècles sur des îlots naturels, avaient fini par bouder la Camargue à partir de la seconde moitié du 20ème siècle. L’endiguement du delta du Rhône et la construction de digues avaient en effet progressivement fait disparaître les îlots favorables à leur reproduction.

Ce n’est que grâce à la construction d’un îlot artificiel sur l’étang du Fangassier dans les années 1970, par la Compagnie des Salins du Midi et avec la collaboration de la Tour du Valat, que les flamants s’étaient décidés à nicher à nouveau en Camargue à partir de 1977.

La pression des flamants sur les rizières est aujourd’hui accrue par l’augmentation progressive de la population de flamants, l’agrandissement des parcelles cultivées en riz et la disparition des haies. Ces deux derniers facteurs sont la conséquence de l’intensification des systèmes agricoles et l’utilisation généralisée de l’hélicoptère pour l’épandage de pesticides.

 

Les moyens d’effarouchements actuels, qu’ils soient passifs (gyrophare, canons à gaz, sacs flottants, etc) ou actifs (tour de guet), ne suffisent pas à endiguer le problème. Chaque année, les flamants sont jugés responsables d’une dégradation de la sole rizicole de 0,5 à 5 % de la superficie totale1. Suite aux piétinements de ces oiseaux, les parcelles touchées doivent, selon les riziculteurs, être partiellement ou complètement resemées.

 

Si de 95 % à 99,5 % des superficies en riz ne sont pas touchées, il n’empêche que les pertes économiques provoquées par les flamants restent importantes pour un certain nombre de riziculteurs. Une variété d’approches a pourtant été mise en place en Camargue pour tenter de limiter les incursions, notamment des mesures agri-environnementales (MAE)2.

Mais les contrats MAE subventionnant l’entretien des haies proposées gratuitement par le Parc de Camargue n’a jusqu’ici suscité que peu d’intérêt. L’incompatibilité avec les pratiques d’agriculture intensive mises en œuvre par la plupart des riziculteurs, expliquerait ce désamour.

Les riziculteurs sont pourtant conscients du rôle dissuasif des haies sur les incursions des flamants. Selon une étude sur l’incursion3, 70 % des parcelles visitées par les flamants dans le périmètre du Parc de Camargue ne possédaient pas de haies.

Mais les riziculteurs justifient leurs réticences à souscrire à ces aides au prétexte de schémas actuels d’irrigation inconciliables avec une diminution de la taille des parcelles et la plantation de haies, et de coûts d’épandage aérien de pesticides plus élevés (ou impossibles) dans les parcelles entourées de haies. Bien qu’invalidée par plusieurs travaux scientifiques, la présence de haies véhicule aussi l’image négative d’une perte de productivité agricole, due aux ravageurs du riz qu’elles pourraient abriter.

Les fantasmes entourant les haies sont donc aujourd’hui le principal obstacle à la diminution des incursions de flamants roses. À la place, les riziculteurs attendent avec impatience la nouveauté de l’année : l’arrivée des drones comme nouveau moyen d’effarouchement, alors que l’utilisation de ces engins en voie de démocratisation tend à être de plus en plus réglementée.

 

Un des bons points ayant accompagné la rédaction de cet arrêté est qu’il a provoqué un élargissement de la concertation autour du sujet des incursions, celle-ci s’étant désormais ouverte aux services de l’État, à la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône et à la LPO, alors qu’auparavant le groupe de travail ne réunissait que la Tour du Valat, le Parc de Camargue et le syndicat des riziculteurs.

À moyen terme, la sortie de crise pourrait venir du remplacement progressif des rizières par d’autres cultures intensives, comme cela a déjà commencé à se faire avec des productions de tomates, de pommes de terre et de colza. Ce n’est pas forcément ce que nous souhaitons à la Camargue.

Une autre possibilité, plus souhaitable sur le plan écologique, économique et social, serait une meilleure prise en compte des services écologiques offerts par les haies d’essences locales, désormais largement documentés. En effet, la logique d’une agriculture industrielle – toujours incompatible avec la nature qui l’entoure – ne cesse de nous montrer ses limites. Serait-il venu le temps de repenser une agriculture plus innovante et qui ne serait pas constamment en concurrence avec la faune et la flore sauvage ? Plusieurs agriculteurs camarguais expérimentent avec succès des rotations plus complexes et plus diversifiées dans une approche agro-écologique faisant la place belle aux haies, vues comme des atouts, aussi bien pour l’ombre qu’elles procurent, que le bois qu’elles fournissent ou pour l’abri qu’elles offrent à des insectes auxiliaires. Rêvons que de tels modèles puissent faire des petits et aboutissent à la mise en place d’un système de polyculture diversifié (maraîchage, vergers, etc) propre à nourrir la population d’Arles et ses alentours en s’appuyant sur de la vente directe et des circuits courts.

 

1 Pour en savoir + :

http://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/bilan_pression_flamants_roses_sur_rizi_res_en_2016_rv.pdf
 
https://vertigo.revues.org/12112

 

2Ces mesures encouragent le changement de pratiques à travers des incitations aux bonnes pratiques.

 

3 https://vertigo.revues.org/12112