Dans notre lettre d’infos n° 4, nous évoquions la destruction d’un site de nidification d’Outardes canepetières à Aimargues, dans le Gard. La création d’un lotissement de 350 logements a en effet laminé l’habitat de l’espèce à l’été 2008, en pleine période de nidification, sur près de 27 hectares.
Aucune autorisation de destruction n’a été délivrée par le ministère en charge de l’environnement ; aucune mesure d’atténuation ou de compensation n’a été mise en place par les porteurs du projet, contrairement à ce que prévoit le code de l’environnement en pareil cas. Et pour cause ! Les rédacteurs de l’étude d’impact sur l’environnement (un urbaniste et un architecte-urbaniste… !) ont considéré que « le site de la ZAC ne présentait pas de milieux naturels d’intérêt écologique ou faunistique. Concédant qu’« une grande partie des milieux naturels présents sur le site serait détruite », ils ont jugé « négligeable » l’impact de cette destruction. En conséquence de quoi les mesures visant à réduire, supprimer ou compenser les effets de l’aménagement, se sont limitées à un « programme paysager de plantations et espaces verts » !
Les porteurs de projet ont également « omis » d’évaluer l’incidence du projet sur la biodiversité au titre des directives européennes. Cette évaluation était pourtant rendue obligatoire par l’existence, à environ un kilomètre de l’emplacement du projet, du site Natura 2000 des Costières Nîmoises, tout particulièrement dédié à la conservation des populations d’Outardes canepetières. Un oubli regrettable qui n’a pas échappé au préfet du Gard qui, dans un courrier adressé à la mairie d’Aimargues le 6 décembre 2006, « signale que le dossier d’étude d’impact ne comporte aucun élément de vérification préalable des incidences du projet sur les sites Natura 2000 et est donc juridiquement fragile ». Cet avis du représentant de l’état, dûment repris par le commissaire enquêteur et assorti de recommandations dans le rapport final de l’enquête d’utilité publique, a été superbement ignoré par le maître d’ouvrage.
En dépit de lacunes évidentes en matière d’évaluation environnementale, le projet a été validé par les services de l’état fin 2007, avec les conséquences que l’on connaît. En guise de baroud d’honneur, les Outardes canepetières se sont brièvement réinstallées au printemps 2009 sur le site détruit, offrant le spectacle à la fois navrant et insolite de leurs chants de parade au milieu des engins et de leur vols sans trêves au dessus du chantier.
Les outardes d’Aimargues sous les roues des bulldozers
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Malheureusement et comme souvent dans ce genre d’affaire, NACICCA n’a eu connaissance du projet de ZAC que tardivement, en octobre 2008, alors que les délais de recours devant le tribunal administratif étaient échus de longue date et que l’habitat naturel des Outardes avait été détruit sur environ 90% de sa surface. C’est dans ce contexte que nous avons – avec le CoGard et la SPN – rencontré, en janvier 2009, le maître d’ouvrage (la mairie d’Aimargues) et son maître d’ouvrage délégué (le Groupe Guiraudon Guiponni Leygue). Pointant les lacunes du projet, nous avons proposé à nos interlocuteurs la mise en place amiable et a posteriori de mesures compensatoires, en particulier l’acquisition, la protection et le suivi d’habitats favorables aux Outardes, d’une surface équivalente à celle qui avait été détruite.
Après s’être donné deux mois et demi de réflexion, le maître d’ouvrage a convié nos associations à une nouvelle réunion, animée par un sbire de la société INGEROP Conseil et Ingénierie, visiblement mandaté pour démonter notre argumentaire et déminer le terrain. Ce dernier nous expliqua que l’étude d’impact avait « abordé la sensibilité environnementale en rapport avec les investigations menées » ( aurait-il fait l’ENA ?), qu’on pouvait « regretter l’absence de diagnostic écologique spécifique au projet, mais (que) les indicateurs bibliographiques n’impliquaient pas cette nécessité » (NDR : aucune référence bibliographique sur le sujet ne figure dans l’étude d’impact…) et encore que « L’évaluation de l’incidence sur le site NATURA 2000 ne constitue pas un élément manquant au projet de ZAC » ( le préfet du Gard appréciera…). A notre demande de mesures compensatoires nous a été opposée une fin de non recevoir, assortie d’arguments à la Ponce Pilate : « l’aménageur estime avoir effectué les démarches et procédures réglementaires nécessaires et suffisantes à l’élaboration du projet, et être de fait libre de recours. Il exprime l’impossibilité d’intégrer a posteriori une contrainte de cet ordre ».
En lieu et place de mesures compensatoires, nos interlocuteurs nous ont tout de même fait une proposition alternative : « La commune va engager une révision globale de son Plan Local d’Urbanisme. Dans le cadre de la réalisation de ce document de planification, il semble judicieux d’engager en amont les études écologiques permettant de déterminer les sensibilités environnementales des territoires communaux » (sic). En clair, le maître d’ouvrage nous propose de faire mieux demain… Et surtout de faire demain ce qu’il n’a pas voulu faire hier… Bien entendu, les associations n’ont pas souscrit à ce marché de dupe et ont rappelé au maître d’ouvrage que l’évaluation environnementale au titre de la réalisation du PLU était une étape obligatoire qui ne saurait se substituer à la mise en place de mesures sur la ZAC de la Garrigue.
Ne pouvant que constater un désaccord sur le fond, les associations NACICCA et CoGard, rejointes par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et Languedoc Roussillon Nature Environnement, ont déposé plainte en juin et juillet auprès du tribunal pénal de Nîmes, pour destruction d’un site de nidification d’Outardes (voir notre communiqué de presse). L’affaire est désormais entre les mains de la justice.
Au delà du dépôt de plainte, NACICCA tire de cette affaire des enseignements en matière de réglementation et suggère que la loi encadre à l’avenir mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui les projets impactant. Si l’article L122-1 du code de l’environnement exige effectivement qu’une étude d’impact soit réalisée pour certains types de projets, la loi ne fait pas obligation au maître d’ouvrage de prendre l’attache de structures ayant des compétences reconnues en environnement pour la réalisation de cette étude. Cette situation bénéficie aux mauvais élèves, qui en tirent le meilleur parti. Nous considérons que des agréments « environnement » devraient être créés et que seules les structures disposant de ces agréments devraient être habilitées à mener à bien une étude d’impact environnemental, en rapport avec le domaine de compétence spécifique pour lequel elles auraient été agréées. De la même manière, l’article R122-2 du Code de l’environnement donne la possibilité au maître d’ouvrage d’interroger les services de l’état quant aux informations devant figurer dans l’étude d’impact ; c’est le « cadrage préalable à l’étude d’impact ». Nous pensons que ce cadrage devrait être rendu obligatoire ; la pertinence de sa réalisation ne devant pas être laissée à l’appréciation du maître d’ouvrage, qui est alors juge et partie.
Enfin, NACICCA exhorte les services de l’état à une vigilance accrue en ce qui concerne l’évaluation environnementale des projets soumis à étude d’impact ou à évaluation d’incidence Natura 2000. Cette vigilance doit s’exercer tout particulièrement dans le cas de projets susceptibles d’avoir un impact significatif sur des espèces animales ou végétales très menacées et pour lesquelles une politique publique de conservation est engagée. Les mesures compensatoires doivent être exigées et leur mise en place contrôlée. Il n’est pas acceptable que des intérêts privés compromettent l’action publique, qui est financée par tous les contribuables.