L’historique d’un plan de destruction massive
Impossible de les rater lorsque l’on passe sur la nationale 113, à proximité de Saint-Martin de Crau. Les entrepôts logistiques poussent plus vite que des champignons, en plein cœur de la plaine de la Crau. Plus de 290 ha d’entrepôts logistiques y ont été construits sur la commune entre 1997 et 2009. Et la tendance perdure_: avec 174 ha de surface imperméabilisée depuis 2010, c’est l’équivalent de 515 terrains de football qui a été sacrifié pour le développement de ce gigantesque pôle logistique. Pourtant la Crau, dernière zone steppique de France, dispose d’une biodiversité aussi remarquable que fragile.
Cette artificialisation galopante n’est pas survenue à Saint-Martin par hasard, mais est due en grande partie à la position géographique de la commune. Car la Crau a le « malheur » de se situer à la convergence de grands axes de circulation (entre l’Espagne, l’Italie et le nord de l’Europe via la vallée du Rhône). Ce contexte favorable à la démultiplication des transports a servi de prétexte pour que les politiques locaux imaginent un plan de développement, basé sur l’utilisation des énergies fossiles. Mais, pas de chance, en plus d’être une stratégie obsolète à l’heure de la transition énergétique, la bétonisation des espaces naturels et agricoles est une réelle menace pour nos ressources locales.
En Crau, l’irrigation des prés, réputés dans le monde entier pour leur foin labellisé AOC, approvisionne 80_% de la nappe phréatique, qui alimente aussi 120 000 personnes en eau potable. Or l’artificialisation des sols et une trop forte urbanisation entraîneront inévitablement l’asséchement de nos nappes. C’est également un danger très sérieux pour les espèces animales et végétales menacées, qui voient peu à peu disparaître leurs habitats. Malheureusement, nos paysages et écosystèmes restent toujours moins rentables et sont sacrifiés au nom de la croissance_à tout prix !
Ce n’est pas tout! Car ces menaces pour notre territoire et ses habitants s’accompagnent de nombreux manquements à la réglementation lors de la construction des entrepôts ou de l’élaboration des documents d’urbanisme. Les constructions ne respectent pas la trame verte et bleue1, le calendrier écologique2 ou ne procèdent pas à une évaluation d’incidence Natura 20003 satisfaisante, pourtant obligatoire lorsque l’on se trouve dans une zone à forts enjeux écologiques. À croire que respecter les lois – pourtant encore insuffisantes à nos yeux – reste facultatif pour ces promoteurs qui ne se voient dérangés que par les actions de petites associations d’écolos tels que Nacicca ou Agir pour la Crau. Pire encore, il est fréquent que le Ministère de l’environnement vienne appuyer ces projets en estant en justice !
Malgré nos actions, les procédures sont suffisamment lentes pour que la plupart des projets d’entrepôts soient finalisés lorsque la justice rappelle parfois à l’ordre leurs promoteurs irrespectueux du patrimoine naturel exceptionnel que constitue la Crau. Le retour à l’état initial du site n’est alors plus possible et c’est, au final, la nature qui en paie le prix fort. Avons-nous besoin de rappeler que nous assistons actuellement à une extinction massive et extrêmement rapide de la biodiversité sur Terre_?
Pourtant les combats peuvent être gagnés et pour NACICCA il s’agit aussi de faire respecter les lois par des agents économiques manifestement plus soucieux de leur propre santé financière que de la nôtre…
Le mythe de la croissance comme source d’emploi
« La croissance, j’irai la chercher avec les dents » : voilà ce qu’affirmait l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Eh oui, le volontarisme politique, lorsqu’il s’agit de croissance, donne aux élus une légitimité suprême. Cet outil rhétorique fallacieux permet alors de justifier des choix qui se font avant tout pour le plus grand bénéfice du capital et d’une petite minorité de privilégiés.
La supercherie se trouve dans la croyance collective qui veut que la construction de nouveaux projets d’aménagement ou plus généralement qu’une plus grosse productivité encourage l’embauche et la création d’emplois. Les pontes de la logistique et les élus de Saint-Martin de Crau l’ont bien compris, lorsqu’ils déroulent leur discours sur l’emploi dans le contexte anxiogène du chômage de masse pour justifier leurs projets d’expansion sans fin de la zone logistique sur la commune. Pourtant, les promesses d’embauches ne sont pas à la hauteur et manquent cruellement de transparence.
D’autres scénarios sont pourtant possibles. A l’échelle nationale, les associations Négawatt et Solagro estiment la création de plus de 4 millions d’emplois en 15 ans, par une réorientation volontariste de l’économie et de l’agriculture vers des modèles plus sobres, notamment sur le plan énergétique ! Autre solution efficace : la réduction du temps de travail qui permettrait d’ajouter plus d’un million d’emplois. La création d’emplois n’est donc pas uniquement possible au détriment de l’environnement, bonne nouvelle n’est-ce pas ?
1. La trame verte et bleue est une mesure du Grenelle Environnement qui vise à constituer un réseau écologique permettant aux espèces animales et végétales, de circuler, de s’alimenter, de se reproduire, de se reposer …
2. L’adoption d’un calendrier écologique permet la réduction des probabilités de destruction d’individus en période de reproduction et/ ou d’hivernage et de limiter la phase de dérangement pendant les travaux.
3.L’évaluation d’incidence Natura 2000 permet de concevoir un projet le plus compatible possible avec la préservation des sites Natura 2000. Elle est ciblée sur les habitats naturels et espèces pour lesquels les sites Natura 2000 ont été créés.