Participation de Nacicca à l’enquête publique pour le parc photovoltaïque en terre d’Argence

Voici le courrier que nous avons transmis au commissaire enquêteur durant l’enquête publique relative au projet de création du parc photovoltaïque en terre d’Argence sur la commune de Beaucaire.

 
 

« Monsieur le Commissaire Enquêteur,

 

Par le présent courrier, nous avons l’honneur de vous adresser l’avis de l’association NACICCA concernant le projet de création de la centrale photovoltaïque EDF EN sur la commune de Beaucaire.

 
 

NACICCA est une association de protection de la nature et du cadre de vie de la Crau, de la Camargue et des Alpilles, dont le périmètre d’intervention s’étend sur les départements du Gard et des Bouches du Rhône. A ce titre, notre attention a été attirée par le projet de réalisation d’une centrale photovoltaïque en plaine agricole de Beaucaire depuis le début de son élaboration. En effet, ce projet ne nous semble pas répondre aux préoccupations de développement durable auxquelles est censé répondre le développement de la production d’électricité photovoltaïque, et ce pour de multiples raisons.

 
 

Pertes de terres agricoles

 

A Beaucaire, les terres impactées par ce projet sont des terres cultivées au potentiel agronomique très satisfaisant, en cours d’exploitation, bénéficiant de l’AOC « Taureau de Camargue » et de l’IGP (Indication Géographique Protégée) « Riz de Camargue ». Le choix retenu en faveur d’une centrale photovoltaïque au sol est d’autant plus surprenant qu’une étude du CETE Méditerranée de la DREAL-LR1 montre que dans le Gard, les surfaces de friches industrielles, anciennes mines et décharges offrent un potentiel suffisant pour répondre aux objectifs de production photovoltaïque (potentiel de production de 860 MWc par centrale au sol sur surfaces anthropisées). Les 711 ha de terre occupés par la centrale de Beaucaire (13% de la SAU de la commune de Beaucaire !) vont donc contribuer lourdement à l’artificialisation des terres agricoles du Gard, alors que 17 000 hectares ont déjà été perdus depuis 10 ans dans ce département. Par ailleurs, le dossier présenté par EDF EN n’offre à ce jour aucune garantie sur la poursuite de l’activité agricole pendant la durée de l’exploitation (installation de bergers) au-delà des déclarations d’intentions

 
 

Impacts et atteintes au patrimoine naturel : carences et minimisation du dossier présenté à l’Enquête Publique

 

L’avis de l’autorité environnementale (DREAL LR) formulé le 21 septembre 2011 (Réf. : LRS/ADTL/2011/054) met en exergue la richesse écologique de la zone du projet, les impacts de celui-ci sur le patrimoine naturel, ainsi que tous les manquements et insuffisances du dossier concernant ce projet d’aménagement. Certains points contenus dans la réponse d’EDF EN faite à l’Autorité Environnementale dans son mémoire datant 21 octobre 2011, et figurant à l’enquête publique ne répondent pas aux exigences.de la DREAL LR et/ou du cadre légal !

 
 

Conséquences écologiques de la modification programmée du régime hydraulique

 

Le volet naturel d’étude d’impact annexé au dossier précise que le maintien en eau des parcelles agricoles habituellement destinées à la culture du riz sera assuré sur une période continue d’au moins1,5 mois entre octobre et avril (il est a noter que ce point à disparu de l’étude d’impact !).

 

En conséquence de ce nouveau régime hydraulique, la période hivernale prévue pour l’inondation des parcelles, par ailleurs réduite pas rapport à la situation actuelle, ne peut en aucun cas permettre la présence d’oiseaux d’eau comme la Mouette mélanocéphale, le héron pourpré et l’Echasse blanche, car celles-ci fréquentent la zone durant la reproduction, qui s’étale de mars à juillet. En l’absence d’eau dans les parcelles à cette période, la disparition de ces espèces est une évidence, d’autant qu’il s’agit d’oiseaux ayant besoin de milieux ouverts (comportement de défense face à la prédation), ce qui ne sera plus le cas en présence des panneaux. Par ailleurs, considérant que les canaux principaux seront maintenus en eau, mais en l’absence d’eau dans les parcelles à la bonne période, la présence d’autres espèces protégées comme le Butor étoilé, le Blongios nain, le Bihoreau gris, le Crabier chevelu….serait fortement affectée. En effet, cela nuirait à la reproduction et/ou à l’alimentation de certaines d’entre-elles (Butor étoilé, Blongios nain, Rousserolle turdoïde) et à l’alimentation d’espèces migratrices (Héron pourpré, Phragmite aquatique, etc.). Les populations de Couleuvre vipérine, de Couleuvre à collier et de Rainette méridionale, seraient aussi fortement impactées par une mise en eau des parcelles insuffisante et inadéquate ce qui entrainerait pour ces trois espèces aquatiques la disparition d’habitat d’alimentation ou de reproduction. Par ailleurs, les populations de plantes protégées et/ou en mauvais état de conservation présentes dans les rizières (Elatine à trois étamines, Massette de Laxmann, Inule d’Angleterre, Scirpe couché, Butome en ombrelle) vont à coup sûr disparaitre, le fonctionnement hydrologique ne permettant pas à la banque de graines présente dans le sol de s’exprimer.

 
 

Mesures compensatoires

 

Les mesures compensatoires envisagées par EDF EN reposent sur la création ou la restauration d’une zone humide. A la lecture de l’étude d’impact, la superficie et la localisation de ces zones humides sont inconnues !

 

Au regard des prescriptions apportées par le SDAGE (Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux) Rhône-Méditerranée, la création d’un marais d’une superficie de 500 à 1 000 ha s’avère nécessaire. Ce document d’urbanisme imposable retient le ratio de deux hectares compensés pour un hectare détruit (dans le cas d’une restauration de zones humides) et d’un ratio de 1/1 pour la création d’une nouvelle zone humide.

 

Par ailleurs, le projet de compensation, s’il demeure flou sur son emplacement futur, l’est plus encore sur son devenir ! Quid du devenir de ce futur marais dans 25 ans, à la fin de la période d’exploitation de la future centrale photovoltaïque, puisque EDF EN propose seulement de louer des terres et non de les acheter ?

 
 

Absence de documents administratifs dans le dossier d’enquête publique

 

Nous nous étonnons par ailleurs que certains documents administratifs n’aient pas été finalisés avant le lancement de l’enquête publique et ne soient donc pas consultables. L’avis de l’enquête publique va donc être rendu sans que ces démarches administratives n’aient été menées et donc sans que le commissaire enquêteur et les citoyens puissent en tenir compte.

 
 

Demande de dérogation d’espèces protégées

 

Les demandes de dérogation de destruction d’espèces protégées et de leurs habitats devant être produites par le porteur du projet et soumises auprès du CNPN (Conseil National de Protection de la Nature) ne figurent pas à l’enquête publique. Ces dossiers sont pourtant obligatoires, a minima pour les espèces envers lesquelles l’impact résiduel est défini à un niveau modéré par l’étude d’impact. Concernant les oiseaux et contrairement à ce que peut affirmer EDF EN dans sa réponse à la DREAL, le projet montre un impact résiduel modéré pour sept espèces protégées par la loi française (le niveau d’impact peut changer selon les résultats obtenus lors des compléments d’inventaires pour certaines d’entre elles) : Phragmite aquatique, Butor étoilé, Blongios nain, Héron pourpré, Echasse blanche, Mouette mélanocéphale, Rousserolle turdoïde. Ceci est également vrai pour la rainette méridionale au vu des superficies d’habitats de reproduction qui vont être détruits (500 ha). En conséquence, et en référence à nos arguments exposés sur les modifications hydrauliques, il ne peut en aucun cas y avoir de dispense de demande de dérogation de destruction d’habitat d’espèces protégées. D’ailleurs, il est fait état de cette nécessité dans le Volet Naturel d’Etude d’Impact annexé, rédigé par le bureau d’études spécialisé en environnement naturel ECO-MED.

 
 

Compléments d’inventaires

 

Il eut été pertinent de joindre les résultats des compléments d’inventaires demandés par l’autorité environnementale, afin que la présente enquête publique puisse présenter l’étude de façon complète et donc transparente. Qu’en est-il des prospections réalisées en 2011 par le bureau d’étude en environnements naturels (SWIFT environnement), qui s’est substitué à celui qui a rédigé le Volet Naturel d’Etude d’Impacts ECO-MED, au cours de l’instruction du dossier ? Des espèces menacées, non observées en 2010, comme la Talève sultane, l’Ibis falcinelle, la Glaréole à collier et la Marouette ponctuée ont été observées alors qu’elles n’ont pas été observées en 2010. Les impacts sur ces espèces n’ont donc pas été évalués !

 

Concernant le butor étoilé, espèce prioritaire au titre de la directive oiseaux, EDF EN dans sa réponse à la DREAL LR, précise « que des études complémentaires hivernales ont d’ores et déjà été réalisées et seront finalisées en cette fin d’année 2011 ». Doit-on comprendre qu’il n’y aura pas de compléments d’inventaires en période de reproduction concernant cette espèce ? C’est pourtant cette nécessité qui ressort du Volet Naturel d’Etude d’Impact annexé car cette espèce selon des publications scientifiques récentes est susceptible de se reproduire dans les rizières.

 

Enfin, nous nous étonnons que l’étude d’impact ne fasse nulle mention des mammifères terrestres et aquatiques. En effet, certaines espèces susceptibles d‘être présentes dans la plaine de Beaucaire sont protégées et/ou en mauvais état de conservation : Loutre d’Europe, Campagnol amphibie, Crossope aquatique, Crocidure des jardins, Hérisson d’Europe. Des compléments d’inventaires doivent donc impérativement être réalisés sur ces espèces

 
 

Évaluation appropriée des incidences

 

L’évaluation appropriée des incidences, réalisée en 2010 par le bureau d’étude ECOMED, se résume à quelques pages seulement dans le dossier d’enquête publique. Leur lecture ne permet en aucun cas de présenter le dossier comme valant document d’incidence. Seules huit espèces d’oiseaux y sont présentées, de façon superficielle. Qu’en est-il des 31 autres inscrites à l’annexe I de la directive « Oiseaux » ? Qu’en est-il des 32 espèces d’intérêt communautaire que sont les Espèces Migratrices Régulières inscrites dans le Formulaire Standard de Données de la Zone de Protection Spéciale FR9310019 « Camargue » ? Qu’en est-il des fonctionnalités vis-à-vis du réseau Natura 2000 local dans sa globalité ?

 

En 2011, un nouveau bureau d’étude (SWIFT environnement) a été mandaté par EDF EN pour refaire cette expertise. Ces documents sont manquants dans le dossier d’Enquête Publique, alors que le projet pourrait porter atteinte en terme de droit européen à une espèce de la directive oiseaux, au regard de la ZPS FR9310019 « Camargue » : la Mouette mélanocéphale (Larus melanocephalus). Les résultats présentés en 2010 par le bureau d’étude ECOMED sur cette espèce indiquent la présence d’un grand nombre d’oiseaux de cette espèce, nichant dans la toute proche Camargue, en alimentation ou en repos dans les rizières de la zone durant la majeure partie de leur cycle de reproduction (plus de trois mois).

 

Suite à la lecture des résultats de l’étude d’impact, consultée en mairie de Beaucaire début-mars, une étude indépendante a été menée par trois associations naturalistes locales (COGARDNACICCA-AcNat) au printemps 2011 dans la plaine rizicole de Beaucaire, afin de caractériser et de quantifier la présence de la Mouette mélanocéphale. Les comptages effectués selon la même méthodologie en 2011 qu’en 2010 révèlent des effectifs encore plus importants (jusqu’à 2 000 oiseaux dénombrés, c’est-à-dire 27% de la population nicheuse de la ZPS de Camargue). Cela confirme les résultats obtenus en 2010, ainsi que l’importance de ces rizières pour les colonies reproductrices d’Ile de Camargue Au vu des résultats trouvés par les associations (qui seront prochainement transmis à la DREAL LR), l’impact de ce projet sur cette espèce doit être considéré comme fort, et les incidences du projet doivent être considérées comme notables-dommageables. Or, dans le document consultable, les atteintes sur la Mouette Mélanocéphale sont jugées comme « modérées ». Elles sont donc manifestement nettement sous-évaluées.

 

Vous trouverez annexé à ce courrier une critique circonstanciée des réponses apportées par EDF EN à l’avis de la DREAL LR.

 
 

Acceptation sociale

 

A en juger par la mobilisation locale, qui sans nul doute ne vous a pas échappé, mais aussi par l’opposition de nombreuses associations locales ou nationales (Association des riverains de la plaine de Beaucaire, ADET ; syndicats, Confédération Paysanne du Gard, Jeunes Agriculteurs ; associations de protection de la nature : CoGard, Meridionalis, NACICCA, AcNaT – Association de professionnels du photovoltaïque –Touche Pas A Mon Panneau Solaire), ce projet ne recueille manifestement pas une acceptation sociale pleine et entière.

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Conclusion

 

Parce que toutes les pièces et informations nécessaires ne sont pas mises à disposition des citoyens, parce que ce projet aura un impact trop important sur la biodiversité locale, de surcroit volontairement sous estimé par son porteur, et pour toutes les autres raisons évoquées dans ce présent courrier, nous souhaitons donc vous informer de notre détermination à nous opposer, par toute voie juridique possible (recours gracieux et administratifs et actions pénales) à la réalisation de cette centrale photovoltaïque.

 
 

Restant attentif à l’avis que vous donnerez à l’issue de cette enquête, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Commissaire Enquêteur, l’expression de nos sincères salutations. «