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Pas d’éolien flottant en Camargue !

Nacicca a participé à l’enquête publique sur un projet d’éoliennes flottantes au large de la Camargue. Nous expliquons ici pourquoi nous ne pouvons accepter ce projet en l’état.

 

Une étude d’impact qui minore les impacts sur la biodiversité marine et en particulier sur les oiseaux

 

Ce projet industriel de parc éolien offshore flottant se situe au large de la Camargue, zone humide dont la richesse avifaunistique est reconnue à l’échelle internationale et a justifié les nombreux statuts de protection qui lui sont attachés. Reconnue par la diversité de son avifaune reproductrice, elle se situe en outre sur un axe majeur de migration pré- et postnuptiale où transitent et hivernent des dizaines de milliers d’oiseaux de nombreuses espèces majoritairement protégées et dont certaines présentent une forte valeur patrimoniale en raison de leur statut d’espèces rares et menacées. Cette richesse ornithologique est d’ailleurs confirmée par l’étude d’impact du maître d’ouvrage : au moins 41 espèces d’oiseaux protégés, sédentaires ou estivantes, dont certaines à très forte valeur patrimoniale et menacées, sur les 44 inventoriées sur la zone d’implantation;
nombreuses autres espèces migratrices, également largement protégées et très concernées par les divers impacts potentiels ou avérés, comme le souligne par ailleurs le Conseil scientifique du PNR Camargue.

 

Si la zone d’implantation est utilisée toute l’année par de très nombreuses espèces animales, de groupes taxonomiques différents (oiseaux, mammifères marins, tortues marines, poissons, etc.) pour y accomplir tout ou partie des différentes phases de leurs cycles biologiques annuels, l’étude d’impact ne pouvait mettre en évidence qu’une partie infime des enjeux en place. En effet, la distribution et l’abondance des espèces animales en mer présentent une grande variabilité spatiale journalière, saisonnière et annuelle que des visites mensuelles sur une ou deux années ne peuvent détecter.
Pour ne prendre que deux exemples, que penser des effectifs d’oiseaux d’eau et terrestres comptés sur le site d’implantation quand on connaît le caractère explosif des passages migratoires et qu’il n’est pas rare de multiplier par un facteur 100 ou 1000 les effectifs en migration d’un jour sur l’autre. Les probabilités de tomber sur un pic de migration avec une visite tous les 30 jours sont bien faibles et une prospection mensuelle ne peut que sous-estimer les effectifs en présence. De même, que penser des effectifs de sternes caugeks recensés sur le site d’implantation du projet en 2012 et 2013 alors qu’aucun couple nicheur n’était observé en Camargue en 2012 et seulement 30 couples nicheurs étaient recensés en 2013. Combien de sternes caugeks auraient été observées sur le site d’implantation en 2008 quand 1330 couples nicheurs étaient recensés en Camargue et en 2017 avec ses 1230 couples nicheurs ?

 

Il n’est alors par étonnant que l’avis de l’Autorité environnementale du conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) souligne les enjeux importants liés à la biodiversité et recommande :

– des études complémentaires sur l’avifaune,
de reprendre l’évaluation des incidences Natura 2000,

– que le maître d’ouvrage s’engage à mettre en place des mesures (dûment détaillées et opérationnelles, ce qui n’est pas le cas dans le dossier soumis à l’enquête publique) d’évitement, de réduction et, le cas échéant, de compensation, à la hauteur des enjeux et des impacts.

 

Ces observations de l’Autorité environnementale (reprises également dans les avis de plusieurs autres services ou institutions, comme l’AFB ou le PNR de Camargue) signifient que l’étude d’impact présente une faiblesse sur tous ces points essentiels.

 

L’étude d’impact soumise à la présente enquête publique et, surtout, ses pièces complémentaires (mémoires en réponse aux avis) n’apportent aucune réponse satisfaisante à ces insuffisances dûment identifiées. A titre d’exemple, l’expertise avifaunistique de Natural Power (septembre 2018) ne fait au contraire que confirmer la richesse ornithologique des lieux et les risques réels d’impacts de natures diverses, difficiles à évaluer (dérangement, dégradation de l’habitat, collisions, effet barrière et attractivité lumineuse ne pouvant qu’aggraver la situation).

 

Ainsi, les auteurs reconnaissent que les éoliennes flottantes pourront jouer le rôle de Dispositif de Concentration de Poissons (DCP) et n’y voient qu’un effet positif pour les mammifères marins. On peut alors s’étonner qu’ils omettent les fortes probabilités que ces concentrations de poissons seront à même d’attirer les oiseaux piscivores avec le double effet d’augmenter les effectifs sur la zone d’emprise et les risques de collision.

 

Un principe de précaution bafoué

 

D’une manière générale, la littérature scientifique démontre qu’il n’y a quasiment pas de corrélation entre les prévisions initiales de mortalité causées par les éoliennes (dans le cadre d’une étude d’impact par exemple) et les mortalités réelles constatées a posteriori. Les raisons sont à mettre en relation avec soit un manque de méthode fiable et standardisée pour réaliser les évaluations initiales, soit des hypothèses trop optimistes, ou encore avec l’absence de prise en compte de paramètres réellement peu prévisibles. En clair, les impacts sont hélas toujours plus élevés que ceux envisagés dans les dossiers des maîtres d’ouvrages.

 

Avec de nombreuses incertitudes sur la fréquentation réelle de la zone d’emprise, notamment par les oiseaux au regard de la richesse et des abondances observées en Camargue, et sur une possible fréquentation augmentée une fois les éoliennes installées (attractivité des sources lumineuses et DCP), la prise en compte des enjeux et des impacts apparaît largement sous-estimée dans l’étude d’impact.

 

En cela, elle bafoue le principe de précaution, adossé à la Constitution Française via la Charte de l’Environnement de 2005, qui stipule « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

 

Le dossier actuel soumis à l’enquête publique renvoie d’ailleurs à une définition ultérieure plus précise des mesures de suivis qui seraient alors transcrites dans les arrêtés d’autorisation (actuellement, ce ne sont que des « principes » grossièrement chiffrés). La légalité de cette démarche pose question et devrait au contraire être très détaillée et chiffrée dès le stade actuel de l’instruction, selon des protocoles clairs (comme cela se retrouve en général dans de nombreux dossiers du même type), afin d’éclairer les citoyens sur leur pertinence et leur faisabilité. Le dossier est donc également incomplet sur ce point.

 

Les mesures de la séquence « Eviter, Réduire, Compenser » sont très insuffisantes aux regards des enjeux et des impacts identifiés

 

Aucune mesure significative de la séquence ERC n’est proposée pour tenter d’éviter ou de réduire les impacts ! Notamment, si les risques de collision sont mentionnés et si les auteurs précisent que les retours d’expérience sur l’impact de parc éolien flottant sont peu abondants, notamment de nuit, leurs impacts éventuels sont systématiquement minorés : on connait peu le mode de déplacement nocturne des puffins mais ils volent bas, les sources lumineuses pourraient modifier leur comportement mais l’attractivité lumineuse des structures en mer n’est pas avérée …, la sensibilité des sternes à la collision sur les parcs éoliens offshore est généralement considérée comme moyenne mais le niveau d’impact est considéré comme faible à moyen…, la mouette mélanocéphale montre une forte sensibilité à la collision compte tenu de ses hauteurs de vol et peut être attirée par les structures flottantes mais le niveau d’impact est considéré comme faible à moyen…. ;

 

Si de nombreuses études font état des mortalités par collision des éoliennes, on ne peut qu’être surpris que les maitres d’ouvrage ne prévoient aucune mesure de réduction concrète, sur une ZPS au large de l’une des plus importantes concentrations d’oiseaux de France, autre qu’un suivi lors de la phase de fonctionnement, sans aucune autre précision, ou de sensibiliser les pilotes afin de réduire les dérangements de la halte et du repos des puffins !

 

En conséquence, le dossier soumis à l’enquête publique, et notamment son étude d’impact, qui aurait dû apporter des éléments de réponse satisfaisants et proportionnés aux observations formulées par les services et autorités diverses peut être considéré à ce seul titre comme incomplet et insatisfaisant.

 

On note en particulier une absence totale de mesures compensatoires. Les mesures de suivis apparaissent comme très insuffisantes sur le volet « biodiversité » avec des protocoles insuffisamment définis ; on peut même s’interroger sur leurs pertinences pour tirer de réels enseignements alors que c’est l’objet même d’un projet pilote! Par exemple, l’une des mesures pour le suivi de l’avifaune (360 k€ pour des visites en bateau) au regard du protocole envisagé (12 sorties par an) n’apportera rien de concret sur les impacts réels et donc sur les mesures correctives à adopter. Il semble bon ici de signaler que des dispositifs de suivi automatisés en continu existent, notamment pour mesurer les collisions. Pour rappel, la récente loi sur la biodiversité (août 2016) qui a renforcé le dispositif de la séquence « ERC », codifiée dans le code de l’environnement, mentionne notamment (article L.163-1 et suivants) : « si les atteintes ne peuvent être évitées, réduites ou compensées, de façon satisfaisante, le projet n’est pas autorisé en l’état ».

 

Absence de demande de dérogation au titre des espèces protégées

 

L’Autorité environnementale du CGEDD souligne cette absence de demande de dérogation et indique clairement le risque juridique que cela peut entrainer. Cette procédure administrative est pourtant obligatoire.

 

A ce stade, il nous semble donc utile de rappeler, les termes des arrêtés ministériels sur les espèces animales protégées (mammifères marins, chiroptères et oiseaux, notamment) qui interdisent en particulier (sauf dérogation spéciale) :

-s’agissant des individus d’espèces animales protégées, sur le territoire métropolitain et en tout temps, leur destruction, leur mutilation ainsi que leur perturbation intentionnelle dans le milieu naturel ;

-s’agissant de leurs aires de repos et de leurs sites de reproduction, sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente, ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de population existants, leur destruction, leur altération ou leur dégradation.

 

De plus, la dérogation n’est possible, notamment pour des raisons impératives d’intérêt public majeur (y compris de nature sociale ou économique), qu’à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien des populations des espèces concernées (et il y en a de nombreuses dans ce dossier!) dans un état de conservation favorable au sein de leur aire de répartition naturelle, base même de l’objectif du dispositif réglementaire (et communautaire).

 

Dans le cadre du présent dossier, avec un risque avéré de mortalité de spécimens de plusieurs espèces protégées sur la durée envisagée du projet (40 ans), ce sont des milliers voire des dizaine de milliers d’oiseaux de nombreuses espèces protégées qui peuvent être tués ou mutilés par collision (l’étude d’impact le constate elle-même, avec des niveaux d’impacts faible à moyen). De plus, lorsque le projet impacte des populations d’espèces en effectif très faible et/ou à l’habitat localisé (comme par exemple le Puffin yelkouan ou le Puffin des Baléares) et dont l’état de conservation est dégradé, il convient de considérer qu’il peut être impossible de compenser l’impact. Le dépôt d’une demande de dérogation ne saurait alors avoir d’issue favorable.

 

Absence d’avis conformes des Parcs Nationaux des Calanques et de Port-Cros

 

Malgré leurs demandes officielles, car le projet est susceptible d’altérer de façon notable leurs cœurs de parcs (par exemple, la destruction des puffins nichant sur leurs colonies reproductrices), nous nous interrogeons sur la légalité du refus non argumenté de la DDTM 13 (qui ne dispose d’ailleurs pas des compétences techniques et scientifiques requises en la matière) dans le rapport de clôture du 26 juillet 2018, de saisir les Conseils d’Administration de ces établissements publics.

 

Une localisation du projet incompatible avec les enjeux patrimoniaux existant

 

Il est totalement inclus dans un site Natura 2000 en mer (en tant que ZPS au titre de la directive « Oiseaux » de l’Union Européenne). L’étude d’impact conclut elle-même à cette réalité, incontestable, mais le maitre d’ouvrage n’en retire aucun enseignement et ne justifie à aucun moment l’impossibilité de déplacer son projet dans un espace de moindre enjeu environnemental, ce qui n’est pas acceptable.

 

Pourtant, une étude récente publiée en juin 2017, soit antérieure à la présente enquête publique, réalisée par la Ligue pour le Protection des Oiseaux pour le compte du Ministère chargé de l’Environnement et l’ADEME, préconise d’éviter l’implantation d’éoliennes dans les sites Natura 2000/ZPS en raison d’une mortalité accrue sur ces périmètres par nature à forts enjeux avifaunistiques. Ce projet, dont la localisation a été choisie inexplicablement par l’Etat dans le cadre de l’appel à projets, est donc en contradiction frontale avec cette réalité.

 

En conclusion, nous formulons un avis très défavorable à ce projet, du fait :

 

1. de sa situation dans un espace naturel remarquable (la Camargue) dont la vocation première n’est pas d’accueillir des projets industriels lourds, a fortiori classé en site Natura 2000 en mer/ZPS;
2. de la minoration des impacts sur la biodiversité ;
3. de l’absence d’application du principe de précaution ;
4. de l’absence d’une demande formelle de dérogation au titre des espèces protégées ;
5. de l’absence d’avis conformes des parcs nationaux des Calanques et de Port-Cros (qui en avaient pourtant fait la demande officielle) ;
6. de l’absence de réponses satisfaisantes aux divers avis officiels joints à l’enquête publique ;
7. de l’absence de mesures adaptées et détaillées, au titre de l’évitement et de la réduction des impacts, de la compensation et de l’accompagnement environnemental du projet. Contrairement à ce que mentionne le maitre d’ouvrage du projet éolien, toutes les mesures actuellement retenues dans son dossier sont insuffisantes et insuffisamment détaillées (ce qui n’est pas le cas pour les mesures identifiées au titre du raccordement RTE).

 

Ce projet expérimental (qui est également un projet industriel lourd), qui devrait également être exemplaire sur le plan juridique (ce qui n’est pas le cas) doit se réaliser dans un secteur de moindre enjeu, notamment écologique.

 

Si ce n’était pas le cas, notre association n’hésiterait pas à le contester par la voie juridique.

Cossure : un exemple à ne pas suivre ?

 

Regards critiques sur la première expérience de compensation par l’offre initiée en France

 
 

La compensation de la biodiversité a actuellement le vent en poupe en France. C’est particulièrement le cas de la compensation par l’offre largement soutenue par le ministère de l’écologie. Un article paru dans le dernier numéro du Courrier de la Nature (revue éditée par la Société Nationale de Protection de la Nature : http://www.snpn.com/spip.php ?rubrique21), et écrit par deux membres de NACICCA, pointe les faiblesses majeures et inquiétantes de ce dispositif tel qu’il a été testé grandeur nature par la filiale biodiversité de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) sur le site de Cossure en Crau.

 
 

Le constat est inquiétant car les réserves d’actifs naturels (ou banques de compensation) ont été introduites par amendement dans le projet de loi Biodiversité qui doit être adopté par le parlement cet automne. Il est à noter que ce travail critique a été présenté lors d’un colloque sur les mesures compensatoires en présence du directeur général de la CDC biodiversité et du ministère de l’environnement. Ces derniers n’ont apporté aucune réponse satisfaisante aux questions très concrètes posées par notre travail.

Bonne lecture à tous

La compensation ne doit pas être un droit à détruire

 

Les décompenseurs en lutte est un groupe de contre-expertise des mesures compensatoires qui s’est constitué autour du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le résultat de leur travail vient de paraître. Dans leur critique ils mettent en évidence une sous-estimation des surfaces impactées et une sous-estimation de besoin de surfaces pour compenser les dégâts. Mais le plus important est certainement la mise en évidence d’un problème de fond sur l’approche « fonctionnelle » utilisée dans ce projet.

 
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La nature, dernière conquête de la finance

De l’argent comme il n’y en a jamais eu s’apprête à remplir les caisses des associations de protection de la nature. Cette nouvelle manne viendra des développeurs publics ou privés dans le cadre de la mise en place de mesures pour compenser la destruction de la biodiversité. En guise de droit à détruire, le développeur achètera sur des marchés spécialisés des « actifs de nature », finançant ainsi l’acquisition de terrains de remplacement que des associations ou des bureaux d’étude se chargeront de protéger ou de restaurer. Étant donnés les montants en jeu, il n’est pas étonnant que ce mécanisme suscite peu de critiques de la part d’associations pour lesquelles la pénurie a toujours été de règle (mais voir le point de vue exprimé il y a quelque temps déjà sur ce site dans l’article intitulé Biodiversité le piège des mesures compensatoires). Pourtant, cette histoire risque bel et bien de faire une victime, la nature, en passe de devenir l’une des dernières conquêtes de la finance.

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